une petite poussière spatialle
Je vous invite à regarder cette capture d’écran provenant d’une pièce de théâtre filmée – The Night of the 4th to 5th – (La nuit du 4 au 5, écrit par Rachel Graton) que j’ai récemment colorisée, si on peut appeler cela ainsi puisqu’il s’agit d’un projet en noir et blanc…
Il n’y a rien de particulier, n’est-ce pas ? … Hormis ce qui semble être une petite poussière déposée sur l’image, tout juste en haut à gauche de l’espèce de trépied d’optométrie. Eh bien, cette petite poussière ne serait pas qu’une simple petite poussière, mais quelque chose de bien plus intéressant.
Pour vous mettre en contexte, cet artefact n'apparaît que sur ce frame, cette unique image dans la totalité des 24 images qui défilent lors d’une seconde, et ce, tout au long de la prise. Le tout est tourné de jour, dans un studio fermé où l’éclairage est totalement contrôlé, devant un rideau noir, dans le but de créer l’effet d’un espace vide. La ARRI AMIRA, avec une résolution de 3.2K, est la caméra de cinéma professionnelle qui a été employée pour cette production.
Et pourquoi ne s’agirait-il pas d’une simple poussière ?
Cela aurait eu du sens si le projet avait été tourné sur pellicule. Par exemple, une poussière aurait simplement pu se déposer sur le film et être numérisée par erreur sur l’image, une situation plutôt fréquente selon les procédés de numérisation employés. Mais le projet a été tourné avec une caméra numérique, et aucun autre intermédiaire photochimique n’a été employé.
Je vais aussi rapidement éliminer la thèse d’une poussière qui se serait brièvement retrouvée coincée entre le capteur numérique de la caméra et de l’objectif, ou même d’une poussière qui aurait flotté dans l’air au moment de la scène et qui aurait attrapé la lumière. Dans les deux cas, jamais une poussière n’aurait pu être aussi définie et nette, comme on peut le voir dans l’image native, grossie en couleur ci-dessous.
Image grossie et «colorisé» en noir et blanc
Image grossie native (LogC3 pour les plus technos)
Et voilà… tout ça pour dire qu’il s’agirait simplement d’un artéfact numérique lié à une défectuosité avec le capteur de la caméra, tel qu’un dead pixel. Ou plutôt un hot pixel ou stuck pixel, étant donné sa nature temporaire, ne durant qu’une fraction de seconde dans le cas présent. J’invite d’ailleurs les intéressés à lire cet article (en anglais) pour identifier et différencier ce genre d’artéfact.
Eh bien, non ! Comme vous pouvez le remarquer, sans toutefois trop entrer dans la formalité du fonctionnement des capteurs numériques, nous constatons que notre « poussière » affecte de multiples pixels. Un stuck pixel peut affecter plusieurs pixels simultanément en fonction des caméras (dont notre ARRI AMIRA en 3.2K, chose que je pourrais expliquer dans un prochain blogue), mais pas de la manière ici présente. Je parle notamment de l’étrange forme allongée de notre « poussière », comme si elle avait une traînée, chose que l’on ne retrouverait pas avec une simple erreur de capteur.
Plusieurs pixels sont affectés par cette poussière, ayant cette étrange forme allongée, comme si elle avait une traînée.
Cet artéfact ne serait donc pas dû à un défaut du capteur. En fait, je dirais même que la caméra a ici parfaitement capté la scène… et même plus encore que la simple scène visible !
Vous me suivez toujours ? Parce que c’est là que mon article devient un peu space.
Voici la théorie que je propose :
Cette poussière serait en fait une particule de haute énergie, qui aurait réussi à toucher le capteur de la caméra au bon endroit, au bon moment. Elle peut être issue d’un processus de rayonnement naturel ou artificiel, aussi connue sous le terme « radiation ».
Oui, oui ! Je parle d’une particule telle qu’un proton, un électron, un ion d’hélium ou autre, qui aurait été capturée par notre caméra. Et en regardant notre image, nous voyons clairement un point central, là où cette particule aurait atterri sur notre ARRI AMIRA. L’espèce de traînée derrière ce point nous indique que la particule aurait atterri dans un angle non perpendiculaire. Je noterais même que cette particule semble être venue du haut.
À partir de là, il est impossible pour nous de déterminer avec certitude l’origine de cette particule, à savoir si elle est de source artificielle ou naturelle.
Peut-être qu’une belle grosse brique d’uranium, de laquelle émanait une lueur verdâtre/cyan, traînait quelque part dans le coin de la pièce. Peut-être qu'un technicien de plateau a décidé de passer un petit rayon X au moment de faire la prise. Peut-être que cette particule vient de l’espace.
De l’espace ? Je pense qu’il s’agit de l’hypothèse la plus plausible pour l’instant, une idée que je trouve même fascinante, beaucoup moins farfelue que l’on pourrait le croire. Je parle ici de rayonnement cosmique.
Une particule de haute énergie provenant de notre Soleil par le flux d’un processus de fusion nucléaire, ou d’un endroit qui nous sera à jamais inconnu, du fin fond du cosmos. Un projectile invisible ayant voyagé des millions ou des milliards de kilomètres pour y faire la rencontre de notre planète. Et pourquoi pas ? C’est avec assez d’énergie que cette particule aurait réussi à déjouer le champ magnétique de la Terre et à y pénétrer son atmosphère. À partir de là, ce n’est pas le toit en bitume d’un typique bâtiment en brique de Montréal qui l’aurait arrêtée, ni le châssis métallique d’une caméra de cinéma d’ailleurs. C’est grâce à ce heureux hasard qu’elle serait entrée en collision avec notre capteur, pas plus gros qu’un 25¢, pour ensuite être interprétée comme un signal lumineux pendant la prise. Une prise qui a finalement été sélectionnée par l’équipe de réalisation et l’équipe éditoriale pour faire partie du montage, le jeu des acteurs étant particulièrement bon. Le voyage de notre poussière spatiale pourra maintenant être immortalisé à tout jamais, le temps d’une fraction de seconde, dans ce film. Il s’agit là du testament d’un concours de circonstances exceptionnel.
Et tout ça, pour finalement être bêtement effacé à l’aide de 4 clics, par un coloriste.
Bye-Bye, poussière spatiale.
Information sur la production de The Night of the 4th to 5th (La nuit du 4 au 5)
Texte original : Rachel Graton
Traduction : Katrine Turnbull
Interprétation : Talisman Theatre
Production : Para-Dime Productions - Jaa Smith-Johnson
Réalisation : Isabelle Bartkowiak
Direction photo : Andres Rodrigo Castillo